Ce blog présente différents éléments d'archive rendant compte de l'installation de Serge Mauger et Damien Reynaud, réalisée le 12 novembre 2015 à Cherbourg, à l'occasion du centenaire de la naissance de Roland Barthes.
Où est l'image vraie ?
Hommage à Roland Barthes : cent cartes postales et aphorismes.
lundi 23 novembre 2015
Ce blog présente différents éléments d'archive rendant compte de l'installation de Serge Mauger et Damien Reynaud, réalisée le 12 novembre 2015 à Cherbourg, à l'occasion du centenaire de la naissance de Roland Barthes.
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Pays/territoire :
Cherbourg-Octeville, France
dimanche 22 novembre 2015
Installation, halles de Cherbourg, 11 et 12 novembre 2015
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Cent cartes postales au restaurant Sophie's |
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Cent cartes postales en libre service à la galerie Diplopie |
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Cent cartes postales en libre service à la galerie Bër |
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Cent cartes postales à la librairie Ryst |
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Cent cartes postales en libre service au centre de la photographie le Point du Jour |
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jeudi 12 novembre 2015
La mue imaginale
LA
MUE IMAGINALE
Dans
La Chambre Claire,
Roland Barthes est à la recherche d'une présence perdue, à travers
une image. Une image qui puisse la lui faire retrouver et reconnaître
toute entière, sa mère.
C'est ce travail douloureux qui le fait se débattre au milieu des
images, dont chacune ne lui restitue que des bribes de vérité.
Quand il se trouve devant la Photographie
du Jardin d'Hiver, il peut
observer une petite fille posant avec son frère, dans la serre de la
maison. Il peut enfin y retrouver sa mère. Il en retrouve le visage,
et tout de la posture familière du corps, dans la pose
photographique d'une petite fille qu'il n'a pourtant jamais connue
ailleurs que dans cette image.
Faisant
référence à Jean-Luc Godard, je dirais que Roland Barthes explique ne pas
chercher « juste une image », mais « une image
juste », une image de justesse.
La
vérité
Où
est l'image vraie ? Cette recherche dans les albums de
photographies familiales d'une image perdue, parce qu'il vient de
perdre sa mère, lui donnera avec la Photographie
du Jardin d'Hiver,
la satisfaction d'un « sentiment aussi sûr que le souvenir ».
« L'obscur
photographe de Chennevrières-sur-Marne avait été le médiateur
d'une vérité » qui lui rendait la « réalité
vivante », et accomplissait pour lui, « la science
impossible de l'être unique ». A travers cette image, il vit
une révélation, un peu comme l'imago, dernier état de la
mue, permet à l'insecte d'aboutir enfin à sa forme attendue. La
présence de l’absence, que désigne la photographie, et qui le
touche, lui rendit tout plus vivant.
En
quoi donc certaines images sont insignifiance, indifférence, et
d'autres font basculer une vérité « telle qu'en elle-même » ?
C'est qu'il existe une essence particulière, flottant dans l'image,
une suspension de l'issue qui serait l'espace même de l'amour et du
langage. Voilà ce fil que Roland Barthes va trouver par hasard dans
la photographie, faisant le lien entre la peine de la perte de sa
mère et sa recherche pour combler ce vide par le langage.
Cette
image particulière, capable de décupler des sentiments plus haut
que le souvenir, nous la connaissons tous, pour l'avoir croisée dans
l'album du passé et des histoires intimes. Si cette image lui parle
tant, Roland Barthes a pourtant conscience qu'elle n'est qu'une image
quelconque, pour nous qui n'avons jamais connu l'amour de sa mère.
C'est justement en faisant parler cette image dans La Chambre
Claire, qu'il la fait devenir autre. Pour nous, sans la voir, sa
traduction verbale la fait alors tendre à l'universel.
L'aventure
Évidemment,
ce qu'il voit là, dans l'image, s'est trouvé là, dans la réalité,
entre lui et l'infini dans le temps.
Cette
qualité, du référent photographique et objectif, peut dépasser la
forme d'une quelconque vérité de l'image, pour prendre l'allure de
l'intense expérience intérieure d'une pose vivante. Qui n'a pas été
ému devant une image ?
Roland
Barthes s'est retrouvé propulsé par la Photographie du Jardin
d'Hiver, entre lui, ici, aujourd'hui, et elle, là-bas, hier.
Entre cet en deçà et cet au-delà, que lui présente cette
expérience visuelle de l'image, il retrouve l'intensité de
l'étendue d'une vie réelle et l'infini d'une vérité vécue.
« J'avais confondu vérité et réalité dans une émotion
unique, en quoi je plaçais désormais la nature -le génie- de la
Photographie, puisque aucun portrait peint, à supposer qu'il me
parût « vrai », ne pouvait m'imposer que son référent
eût réellement existé. »
La
pose photographique c'est aussi la pose du sujet regardant l'image,
ce qui donne à la phénoménologie de l'image un double regard, un
double langage, une double intention.
Le
punctum
L'image
peut avoir quelque chose à nous dire, qui serait différent, que je
sois le cadreur ou le spectateur. Ainsi, la Photographie du Jardin
d'Hiver n'a pas été faite avec la même intention que celle qui
portera le regard de Roland Barthes sur elle, dans La Chambre
Claire. Cette découverte d'une aventure entre l'être et l'image
montre qu'une image peut nous advenir et nous animer. C'est ainsi que
Roland Barthes définit cette aventure comme le télescopage entre
deux entités à l'image : le studium et le punctum.
« C'est
par le studium que je m'intéresse à beaucoup de
photographies, soit que je les reçoive comme des témoignages, soit
que je les goûte comme de bons tableaux historiques : car c'est
culturellement que je participe aux figures, aux mines, aux gestes,
aux décors, aux actions. » Le studium renvoie donc à
l'information correspondant au centre d'intérêt culturel présenté
dans l'image.
Tandis
que l'on va chercher le studium dans l'image par notre
conscience, on ne va pas chercher le punctum. « C'est
lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer. (…)
Ce second élément qui vient déranger le studium, je l'appellerai
donc punctum ; car punctum, c'est aussi :
piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure -et aussi coup de
dés. Le punctum d'une photo, c'est ce hasard qui, en elle, me
point. »
Ainsi,
pour Roland Barthes, tant qu'une image n'est pas traversée par ce
détail signifiant, il ne se sent pas autant animé par ce qui lui y
fait signe. Il n'est donc bien question que de sens dans l'image. En
cela, elle est le théâtre sensationnel de tous les langages à
l’œuvre dans le réel.
Le
partage
Rendre
hommage aujourd'hui à Roland Barthes est l'occasion d'exprimer ma
recherche d'un sens perdu. Les paysages de crises économiques, dont
les informations nous nourrissent d'images moroses, de scandales
optiques ou de divertissements visuels, sont des images faussées.
Leur vérité tient plutôt à une réelle crise du sens et des
symboles.
Nos
systèmes de communication favorisent la transmission de
l'information par l'image, car les supports technologiques sont
d'abord des modes d'affichages liés à l'écran et à l'icône. Il
me semble nécessaire de prolonger et de diffuser une pensée,
permettant d'aborder les images, afin de partager ensemble une
réflexion sur leur sens et leurs usages. Les événements
d'actualité, qui ont affecté l'opinion publique, par les
conséquences des caricatures de Charlie Hebdo, ou par l'impact
politique de l'image de la mort du petit Aylan, montrent l'incidence
de l'image dans nos vies personnelles et sociales. Ainsi, le travail
que je propose d'installer sur les halles de la place centrale de
Cherbourg cherche à rendre visible le matériau de l'image et du
langage, dans l'espace commun.
Où
est l'image vraie ? Cette question est la recherche d'une
vérité, de chacun, au quotidien, cherchant à se faire une idée
juste sur le flux des images de la vie. Je
pense que cette réflexion anime réellement les gens et les amène
à vivre l'aventure de l'image. Aussi, quand j'entends quelqu'un
dicter sa vérité sur une image, comme quoi les esprits seraient
souvent trop limités pour comprendre, il me semble indispensable de
délimiter un champ d'intervention artistique, qui permette la
rencontre des idées, entre des mots et des images, avec des gens de
passage dans l'espace de la cité.
Il
ne faut pas oublier cette leçon que l'image ne peut pas être
absolument comprise, et qu'en en dictant un sens autoritaire, on
limite notre champ visuel des possibles. Parce que la technologie
offre un potentiel démesuré d'auteurs, l'image est plus que jamais
naturellement ouverte au doute. Heureusement ! Aux doutes et aux
sens.
Le
lieu
Roland
Barthes est né à Cherbourg par hasard. Même si cela semble
anecdotique, il me vaut de lui témoigner cet apport, c'est à dire
d'ici exprimer nos idées et nos sens en mouvement comme forme de
reconnaissance d'un ailleurs. Ce projet prend donc forme à la date
anniversaire du centenaire de sa naissance, le 12 novembre 2015, à
Cherbourg. Y sont présentées cent images au format carte postale,
accompagnées de cent aphorismes sur l'image en guise de légende. Le
travail se présente dans la ville en une ligne de bandeaux collés
bout à bout sur les façades des anciennes halles de la place
centrale, en en faisant le pourtour. Chaque bandeau est composé
d'une formule textuelle commençant par une majuscule et dont le
point final de la phrase est remplacé par une image photographique
en noir et blanc. La longueur de chaque bandeau est déterminée par
la longueur de la phrase, tout en étant limitée par un maximum de
un mètre. A un bandeau succède un autre bandeau, avec un autre
aphorisme et une autre carte postale, guidant le sens de notre
promenade comme une lecture de l'espace. Chaque image est une vue
stéréotypée, formant une collection et présentant la ville.
D'ailleurs, Roland Barthes a aussi développé une analyse du signe
et de l'imagerie des monuments ou de l'urbanisme, rendant au visible
de la ville une recherche de lisibilité.
En
double, une autre ligne se superpose au ruban des bandeaux, avec le
texte de Serge Mauger en hommage à Roland Barthes, intitulé
« Mémoire d'un non lieu ».
La
patate
Dans
chaque carte postale est mise en scène une pomme de terre, comme un
élément perturbant notre vision « normale ». Tantôt
cette patate nous saute aux yeux, tantôt elle se fond dans le décor.
Alors que chaque aphorisme nous entraîne à penser à la portée des
mots, sur l'idée ou l'usage des images, chaque pomme de terre vient
interférer dans la petite histoire de l'image. Chaque image
s'échappe de sa simple image.
La
patate est tout un symbole ! D'une forme naturelle de survie, à
la naissance d'une vie sous terre ou à une nourriture populaire,
c'est l'image d'un partage accessible et autonome. C'est aussi un
tubercule capable de suggérer des métamorphoses inquiétantes,
anthropomorphiques ou érotiques. Car l'image est cette étrange
étrangeté, qui coïncide si bien avec le réel et nos projections.
La
fécule de pomme de terre a également bien joué son rôle
fondateur : présentée dès 1904 à l'académie des sciences,
comme l'élément chimique intervenant dans le procédé de
l'autochrome, elle permit le succès d'une révélation des choses en
couleur. Les premières photographies en couleur sont donc nées
avant Roland Barthes, alors que lui-même avait sa préférence pour
le noir et blanc.
Enfin,
j'ai surtout choisi de rendre hommage à Roland Barthes, en proposant
à la patate de jouer le rôle signifiant du punctum, c'est à
dire ce qui est présenté dans La Chambre Claire comme cet
élément signifiant de l'image qui vient me traverser et m'animer
pour faire sens.
Le
transformator
L'image
fait d'abord sens au corps. En effet, qu'attendons-nous de nos
données imagées et partagées ? Sous la forme d'un vieil album
de famille, d'un réseau numérique sur Facebook, de selfies, puis de
snapchats éphémères, il y a l'espoir qu'un détail signifiant ne
vienne percer les écrans, comme la preuve d'un réel possible, lié
à mes attentes intimes.
La
vision individualiste et narcissique de ces « égoportraits »
contemporains -comme on les appelle- me paraît plus correspondre à
une émission revendicative du désir d'un « je », en
image parlante. Le monde des supports de communication en
développement et des échanges visuels devenus numériques est un
espace de mouvement et de créativité des langages, dont la fonction
poétique correspond à nos nécessités politiques d'appropriations
personnelles. Agissant en réseau, pour faire signe des vérités
« telles qu'en elles-mêmes », l'image fait la paix avec
la défaillance démocratique. Car chaque image est la visualisation
du risque de son exposition, à un pur laisser parler à son sujet.
Cette
forme de conscience collective d'un espace modifié me fait penser
que chaque geste, derrière un écran ou une image, rend un hommage
inconscient à la recherche de sens de Roland Barthes.
La
mue imaginale, dans le monde des coléoptères, est cette image d'un
double, entre le dernier état d'une chrysalide et l'éclosion d'une
naissance. L'image offre donc cette perspective d'une mutation, entre
une apparence visuelle et ce que l'esprit en extraie comme sens
vivant.
L'image
vraie, c'est la mue imaginale.
tous droits réservés © ADAGP Damien Reynaud
tous droits réservés © ADAGP Damien Reynaud
Cherbourg,
le 12 novembre 2015, Damien Reynaud
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Mémoire
d'un non lieu
Roland
Barthes, né quelque part du côté de la Bucaille, tenait Cherbourg
pour un
non
lieu.
"Non
lieu" comme absence physique de lieu et "non-lieu"
comme en justice, pour
dire
que l'on abandonne.
Quelque
chose comme "Circulez, il n'y a rien à voir".
Rien
à espérer.
Rien
à chercher ; tout le contraire d'une utopie.
Pas
de sujet, pas d'objet, une totale intransitivité et donc
"rien
n'avoir", ni complément, ni compliment.
Pas
d'images, pas d'héritage, pas de souvenirs pour cet homme qui
s'est recentré
à
Bayonne et a tourné le dos à l'endroit même où il
n'a,littéralement, "jamais
mis
les pieds", puisqu'il n'avait que deux mois d'âge quand il en
est parti.
Il
y a là quelque chose de fantastique, au fond. Un vertigineux et
paradoxal fonds
d'absence
qui est à la fois mémoire et mémoire de rien.
Cherbourg
est le degré zéro d'une biographie qui commence par une fracture,
un sol qui
n'est
pas là, un contre-ancrage.
Un
dé-marrage de bateau ivre.
Et
c'est peut-être l'histoire de chacun qui se révèle ici, comme
antidote au mythe des
racines.
L'histoire d'une quête de soi qui ne peut être,comme pour
l'écriture, que fragmentaire.
La
patate de Patricia et Thierryi
me rappelle cette légende (ou cette histoire) d'un vieux barde
breton qui aurait
pu être aussi un vieux moine shintoïste,ou zen, ou quelqu'un qui
aurait rencontré Breton et
salué
Duchamp.
Le
moine-barde avait adopté comme compagnon de route un caillou dans
lequel il donnait des coups de pieds.
A
chaque coup le caillou partait plus ou moins quelque part et le moine
le suivait au hasard des ricochets.
Chaque
étape était une rencontre, un regard, une découverte étrange ou
une banalité qui s'arrachait à la trivialité.
Il
traverse ainsi la Bretagne en zigzag et arrive au bout du monde,
c’est-à-dire au Finistère, là où se
termine
la terre des enracinements et où s'ouvre le grand espace de la mer
d'Iroise et du rêve.
Mais
ç'aurait pu être le cap de la Hague, face aux tourbillons majeurs
du Raz Blanchard et la tête
tournée
en ouest.
Le
caillou lui montrait la route à suivre et lui révélait que la
méthode est le chemin que l'on découvre par à-coups,
après coup. Avec la surprise, parti d'un non lieu, d'être peut-être
arrivé quelque part.
Ceci
est une navigation terrestre, une déambulation le long des trottoirs
de l'imaginaire. Une navigation comme dans un
Quart-livre où l'on se dirige vers l'oracle de la Dive bouteille.
La
vie comme une suite de Haï Ku
ou
d'aphorismes
nés
de la poursuite d'une patate en forme de galet…
Serge
Mauger, 12 novembre 2015
iPatricia
et Thierry sont le couple d'agriculteurs qui ont fourni les patates
nécessaires aux prises de vue à l'origine des cartes postales
exposées ci-dessous.
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